LE PREAU DE SAINT-PHILIBERT    


             Le hameau de Saint-Philibert fut doté d’une école mixte à la suite du don d’une maison destinée à répondre à ce besoin, qu’effectua, en 1883, une propriétaire du lieu, la veuve Pascal, laquelle avança même les fonds pour procéder aux grosses réparations les plus urgentes.
La commune d’Albon prit, pour sa part, à charge les travaux encore à faire, et, sa voisine de Beausemblant, dont certains enfants fréquentaient l’école, ayant accepté de participer aux travaux d’entretien, tout semblait devoir aller pour le meilleur des fonctionnements scolaires dans ce paisible dans ce paisible coin de terre albonnais.

 

                L’on se rendit rapidement compte, cependant, que certaines commodités de vie écolière manquaient à la nouvelle école de Saint-Philibert, en particulier un préau, et aussi des lieux d’aisance, ce dont les familles se firent sans tarder l’écho auprès des instances municipales. Qui, comme on sait, sont parfois lentes à réagir, tant et si bien que d’autres urgences communales ayant pris le dessus, il fallut attendre l’année 1908 pour que le nouveau conseil municipal, issu des élections du mois de mai, se saisisse d’un dossier qui sommeillait depuis plus de quinze années.
Revu, de manière à le « réaliser immédiatement », sous la houlette de l’énergique maire Fernand Baboin, le projet comprenait un montant de 1 800 francs de travaux, à faire réaliser par le maître maçon belsimilien Fernand Dideron, et l’acquisition, pour 225 francs, du terrain nécessaire auprès du propriétaire Antoine Alléon. Dans sa séance du 10 juillet 1910, le conseil municipal d’Albon l’approuva, en demandant au préfet – dont, à l’époque, toute décision d’investissement devait recueillir l’accord pour être suivie d’effet – que soit prise en compte la « nécessité urgente » de l’opération.

 


         Et c’est là que tout se compliqua. L’inspecteur primaire avait, en effet, effectué une visite à l’école de Saint-Philibert à l’automne 1909, et il avait noté son « état défectueux », en particulier du point de vue du logement de l’institutrice. Problèmes qu’il avait consignés dans son rapport à l’inspecteur d’académie, lequel avait répercuté l’information au préfet, qui en avait saisi, à la fin de l’année 1909, le maire d’Albon, faisant bondir le bouillant Fernand Baboin, qui lui écrivit aussi sec que le logement de l’institutrice de Saint-Philibert était dans un état « convenable » dont « se déclareraient très satisfaits » beaucoup de « propriétaires des plus aisés de [sa] commune ».
En ajoutant que les « exigences » des enseignants de St-Martin et St-Philibert dépassaient vraiment « la mesure », se trouvant, de surcroît, « encouragées » par des inspecteurs « qui ne croient pas devoir se renseigner auprès de la municipalité ».
Un courrier dont l’inspecteur d’académie – auquel le préfet l’avait forcément transmis -, ne manqua pas de se souvenir lorsque lui vint entre les mains, au cœur de l’été 1910, le projet de construction du préau : le fonctionnaire assortit son avis de moult observations pointilleuses, en insistant pour qu’y soit inclus « un projet complet d’appropriation de l’école de St-Philibert » comprenant la rénovation de fond en combles du logement de l’institutrice
 

 

       Rendu destinataire de cet avis, Fernand Baboin témoigna au préfet, dans un courrier daté du 21 septembre 1910, de la « pénible déception » qu’il lui avait inspirée, opposant aux « exigences » que prétendait lui « imposer » l’inspecteur d’académie, son impossibilité de faire supporter de « nouvelles charges » à des « contribuables déjà mécontents du poids des impôts ».
Quant à lui, constatant ne plus disposer de « la liberté suffisante pour conserver l’Administration communale », il présentait, par la même occasion, sa démission de maire. Celle-ci n’allait se révéler, toutefois, qu’un éclat d’humeur dont l’ombrageux Fernand Baboin était coutumier, car on le retrouva toujours solide aux commandes communales, le 19 novembre 1910, où il écrivit au préfet que la demande d’aménagements complémentaires à l’école de Saint-Philibert lui était parvenue trop tard, car « les ordres avaient été donnés » pour la construction du préau et les travaux n’avaient pu « être suspendus ».
À la suite de quoi, Baboin se réjouissait que ce préau, attendu depuis vingt ans par les familles, était désormais « achevé », ce qui l’amenait à solliciter du préfet l’approbation du traité de gré à gré passé avec l’entrepreneur Dideron, dont – disait-il - « les ouvriers […] attendent leur argent ».
Demande à l’endroit de laquelle le préfet, Georges François, allait appliquer une tactique administrative éprouvée : la sourde oreille. Pour le coup, Fernand Baboin multiplia vainement les lettres de relance, essuyant les sarcasmes de l’inspecteur d’académie, qui, dans un courrier au préfet du 3 décembre 1910, disait consentir à ne pas laisser au « compte personnel » du maire d’Albon des travaux « effectués sans approbation préfectorale » s’il les complétait par la « mise en état du logement de l’institutrice », Baboin faisant, de son côté, parvenir à l’autorité préfectorale une délibération fleuve dont il avait le secret, où il demandait que soit mis « un terme à la situation pénible […] faite à un entrepreneur loyal et dévoué », en promettant, en retour, « toutes les diligences » quant aux « modifications » qui contribueraient à un meilleur fonctionnement » de l’équipement, mais en regrettant « de ne pouvoir accueillir » les travaux réclamés par l’inspecteur d’académie.

 

 

     Dans le camp préfectoral, on dut alors trouver que le bras de fer avait suffisamment duré, puisque le conseil départemental des bâtiments publics, qui examina le dossier de l’école de Saint-Philibert dans sa réunion du 9 février 1911, estima que la commune d’Albon devait compléter de plusieurs aménagements sa construction du préau et des « privés », mais que les demandes d’autres travaux formulées par l’inspecteur d’académie seraient à inclure dans un « projet complémentaire », dont le report ne ferait pas « obstacle à l’approbation » du dossier présenté.
L’issue du conflit venait d’être entrouverte : Fernand Baboin et son conseil municipal s’y engouffrèrent, en se hâtant de se conformer « aux vues du Conseil des bâtiments civils » quant aux aménagements réclamés, puis, ceux-ci réalisés, en demandant au préfet d’enfin approuver le traité avec l’entrepreneur Dideron, de manière à « clore cette pénible affaire ». Laquelle connut son point final le 20 août 1911, par une délibération du conseil municipal d’Albon qui soldait financièrement les travaux de construction du préau de Saint-Philibert et l’achat du terrain où il avait été édifié.

 

 

                                                                                                                              Freddy Martin-Rosset

 

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