Au cœur de cette soi-disant « Belle Epoque » qui va du tremplin associatif de la loi de juillet 1901 au plongeon vertigineux dans le bain de sang de la Grande Guerre mondiale, parmi le foisonnement des associations villageoises scolaires et postscolaires promouvant les arts et la culture républicaines ou initiant la jeunesse aux griseries pathétiques de la préparation militaire, Albon et ses villages de Saint Martin et Saint-Romain se singularisent tel un rafraîchissant havre de verdure.
En effet, comme si l’avait fécondée le flot vivifiant du Bancel, éclot ici la double initiative, singulière et isolée, d’associations scolaires vouées au culte très laïque des arbres et de la nature. C’est le 15 mars 1910 que Delaye, l’instituteur de Saint-Martin dépose les statuts de la « Société des amis des fleurs et des arbres de l’Ecole de St-Martin d’Albon », dont les buts sont de « faire connaître et apprécier l’utilité pratique et la beauté des fleurs et des arbres », d’en « éviter la destruction » et « favoriser la culture », comme de « répandre l’idée du regazonnement et du reboisement ».
Présidée de droit par l’instituteur, cette société est composée de membres actifs, qui sont les élèves de l’école âgés de 10 ans au moins, et de membres honoraires, qui peuvent être des parents d’élèves ou des anciens élèves. Chaque sociétaire doit s’engager à « reconnaître » et « conserver » les « fleurs utiles », à apprendre à les planter et à les soigner, « à planter chaque année chez lui un arbre fruitier » et à lui donner « les soins particuliers nécessaires », à empêcher, enfin, enfants et animaux de nuire aux arbres et aux plantes. Les sociétaires s’engagent également à « créer et entretenir des massifs de fleurs dans la cour et le jardin de l’école », de manière à produire « des bouquets qui orneront chaque jour la classe et le bureau du maître ».
Cette généreuse et verdoyante initiative saint-martinoise allait voir fleurir, l’année suivante, son pendant chez les voisins de Saint-Romain, où, sous l’impulsion de l’instituteur Ferlin, était fondée, le 7 novembre 1911 à l’école publique de garçons de Saint-Romain, la société « Les amis des arbres ». Légèrement différente, dans ses buts, de son aînée de Saint Martin, l’association créée par l’instituteur Ferlin se proposait, « dans une région particulièrement propice à la culture fruitière commerciale », de « faire des essais de culture d’espèces nouvelles » et de « propager les variétés ayant fait leurs preuves », tout en habituant les enfants à « donner aux arbres tous les soins utiles » et en leur apprenant « le goût de la décoration » à travers « les arbres et arbustes d’agrément ».
Présidée de droit par l’instituteur, la société était composée des élèves de l’école de Saint-Romain âgés au moins de 8 ans et des anciens élèves déclarant y adhérer. Chaque sociétaire devait s’engager à travailler « au moins une journée par an » à soigner ou planter des arbres, à planter chaque année, chez lui, au moins un arbre et à le soigner, à remplacer tout arbre mort ou détruit par un autre, ainsi qu’à préserver les arbres et à empêcher enfants et animaux de les maltraiter.
Ces deux sociétés scolaires aux buts très botaniques déployaient une belle activité à la veille de la Grande guerre de 1914-1918. En 1913, la société scolaire forestière des amis des arbres de l’école de filles et de garçons de St-Martin d’Albon comptait 50 membres actifs et 20 membres honoraires, et, depuis sa fondation, ses sociétaires avaient planté une centaine d’arbres chaque année. Quant à la société « Les Amis des Arbres » de St-Romain, elle regroupait, la même année, 20 membres, dont un n’était plus scolarisé. Ceux-ci avaient effectué, au printemps, un choix d’arbres à planter chez l’horticulteur-pépiniériste Lacroix, alors que le propriétaire Auguste Buisson leur avait offert 10 arbres à planter, dont les uns furent remis aux élèves qui avaient le mieux traité un sujet scolaire d’horticulture, tandis que les autres allaient étoffer le verger de l’école.
Freddy Martin-Rosset